Mort à la fenice by Donna Léon

Mort à la fenice by Donna Léon

Auteur:Donna Léon [Léon, Donna]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Publié: 2012-05-18T22:00:00+00:00


14

L’île de la Giudecca est située dans une partie de Venise où Brunetti se rendait rarement. Visible de la place Saint-Marc, visible, en fait, de nombreux endroits et n’étant éloignée de la ville que d’une centaine de mètres à certains, elle demeurait néanmoins dans un étrange isolement. Les abominables histoires que rapportaient les journaux, avec une fréquence alarmante, d’enfants mordus par des rats ou de gens trouvés morts d’une overdose, paraissaient toujours se passer à la Giudecca. Même la présence d’un monarque déchu et d’une ancienne star du cinéma des années cinquante ne parvenait pas, dans l’imagination populaire, à redorer son blason : l’île restait un sinistre cul de basse-fosse où se passaient des choses horribles.

Brunetti, comme une bonne partie des Vénitiens, s’y rendait d’ordinaire en juillet pendant la fête du Rédempteur, instituée pour célébrer la fin de la peste, en 1576. Durant deux jours, un pont de bateaux reliait la Giudecca à l’île principale ; il permettait aux fidèles d’aller à pied à l’église du Rédempteur pour y rendre grâce de l’intervention divine – laquelle paraissait avoir si souvent sauvé ou épargné la ville.

Debout sur le pont du vaporetto (ligne 8) contre l’étrave duquel clapotaient les vagues, il regarda au loin l’enfer industriel de Marghera ; les cheminées d’usine envoyaient des nuages de fumée joufflus qui, poussés insidieusement par les vents au-dessus des eaux, viendraient ronger le marbre blanc de Venise. Il se demanda quel genre d’intervention divine pourrait épargner à la Sérénissime la marée noire, cette peste des temps modernes : elle recouvrait les eaux de la lagune et avait déjà détruit par millions les crabes qui, jadis, hantaient ses cauchemars d’enfant. Quel Rédempteur parviendrait à dissiper le linceul funèbre de fumée verdâtre qui transformait lentement le marbre d’Istrie en meringue ? Homme de foi limitée, il n’arrivait pas à imaginer de salut, qu’il fût d’origine humaine ou divine.

Il descendit à l’arrêt de Zittele, tourna à gauche, longeant l’eau, et se mit à la recherche de la Corte Mosca. Sur l’autre rive, la ville scintillait dans le faible soleil de l’hiver. Il passa devant l’église (fermée pendant la sieste sacrée de l’après-midi) et vit, tout de suite après, l’entrée du cul-de-sac formé par la cour. Étroit, bas de plafond et plongé dans la pénombre, le passage empestait le pipi de chat

Au bout du tunnel de pierre, il tomba sur un jardin exubérant où les plantes poussaient dans l’anarchie la plus totale ; sur un côté, une bestiole qui ressemblait vaguement à un chat rongeait un débris d’où dépassait une aile. Au bruit de ses pas, le félin battit en retraite sous un rosier, sans lâcher l’immonde déchet. Une porte gauchie s’ouvrait dans le mur, sur le côté opposé de la cour. Pour l’atteindre, il dut à plusieurs reprises écarter les ronces. Il frappa, attendit, puis cogna sur le battant.

Au bout de plusieurs minutes, la porte s’entrouvrit de la largeur d’une main, et deux yeux se mirent à le regarder. Il expliqua qu’il cherchait la signora Santini. Plissés par



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